Le leadership empathique, c’est vraiment nécessaire ?

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La période que nous traversons, les changements majeurs et complexes qui révolutionnent actuellement notre société appellent beaucoup d’entre nous à s’interroger en termes de rapport aux autres, et plus largement de rapport au monde. En effet, ceux-ci sont en pleine évolution, les modèles dominants jusqu’à présent étant remis en cause. De ce fait, la place des relations et du lien dans la construction identitaire (re)prend toute son importance. Notamment sur la scène du travail.

Le rapport à l’autre chahuté

Qu’en est-il de notre capacité à entretenir un rapport à l’autre, à sa différence, qui soit fécond au-delà de nos peurs et de nos fantasmes ? Le repli derrière une barrière sécuritaire, et au sein d’un monde connu, qui se serait constitué à partir de figures historiques et sur une culture intangible, est-il une solution porteuse pour le futur de notre société ? Bien-sûr, je ne le crois pas.

D’ailleurs, l’autre, c’est d’abord notre voisin, notre collègue, celui que nous rencontrons tous les jours. Il y aura toujours un « autre », différent, avec qui nous devons vivre.

Bien entendu, cet enjeu se vit aussi dans le monde du travail, avec la nécessité de devenir plus agile, rapide, innovant.  Et aussi, parce que ce qui se joue là est en grande partie le reflet de ce qui se joue dans la société toute entière. Il n’est pas de frontière étanche entre la sphère « sociale » et l’entreprise.

Le paradoxe de L’Intelligence Émotionnelle

Il est tout de même paradoxal de constater que cela fait vingt ans que les théories managériales prônent l’Intelligence Émotionnelle, en tant que facteur de développement de la personne et de sa performance, et que dans le même temps, la question du bien-être, voire du bonheur (!), au travail se pose sans cesse.

Il est intéressant de faire le parallèle entre le fait que le pilotage de la performance a été de plus en plus individualisé (on en revient quelque peu aujourd’hui), et que dans le même temps l’exigence et la valorisation de l’ « engagement » soient devenues des critères majeurs de l’évaluation de cette même performance.

Cependant,  quel engagement sans collectif ? quel engagement sans lien social ? Le modèle de Karazek, bien connu en ergonomie, démontre clairement que chacun d’entre nous fera d’autant plus face à la demande de résultat (la « demande psychologique ») que le « soutien social » sera fort.

Et c’est bien là que l’Intelligence Émotionnelle et l’Empathie interviennent. Car toutes deux permettent de préserver, voire de développer, les liens humains au travail, et de garantir un lien social qui reste fort, c’est-à-dire solidaire.

Ce n’est pas la gestion en tant que telle qui annihile les relations empathiques dans l’entreprise et dénature l’ Intelligence Émotionnelle

L’Intelligence Émotionnelle  désigne « l’habileté à percevoir et à exprimer les émotions, à les intégrer pour faciliter la pensée, à comprendre et à raisonner avec les émotions, ainsi qu’à réguler les émotions chez soi et chez les autres » (Mayer & Salovey, 1997).

L’Empathie est un « Trait de personnalité caractérisé par la capacité de ressentir une émotion appropriée en réponse à celle exprimée par autrui, d’effectuer une distinction entre soi et autrui (…) et de réguler ses propres réponses émotionnelles » (Jean Decety).

Ces deux aptitudes peuvent selon moi être développées, car nous sommes tous empathiques, à des degrés variables ; aucun enfant ne peut se développer s’il ne bénéficie pas de relations humaines aimantes, cela a été amplement démontré. L’Etre Humain est social, nous sommes tous des êtres de relations. Or comment se fait-il que l’empathie semble si souvent atrophiée dans le monde des affaires et dans celui du travail ? Comment se fait-il que l’individualisme soit si souvent dénoncé dans notre société ? Comment se fait-il que le rapport à l’autre, différent, soit si peu valorisé, même au travail ?

Je ne développerai pas ici une réponse complète, et ne dénoncerai pas les processus de gestion qui ont cours dans l’entreprise et qui malgré tout sont nécessaires à son développement et à sa croissance. Mon hypothèse est que ce n’est pas la gestion en tant que telle qui annihile les relations empathiques dans l’entreprise et dénatureparfois la fameuse Intelligence Émotionnelle fort développées chez certains. Non, car les processus gestionnaires peuvent au contraire donner du sens et un cadre à l’action collective à la condition qu’ils ne suppléent pas l’humanité des rapports humains (même chez certaines entreprises, dites libérées, ou certaines start-up, on assiste à des phénomènes de déshumanisation, quand les processus et les normes l’emportent sur le lien humain).

Or force est de constater que cette humanité, lorsqu’elle ne disparaît pas, passe souvent au second plan, la pression de la performance induisant alors une violence sourde ou ouverte dans les rapports de travail.

Être empathique avec soi-même…ça commence par là !

Cependant, observant ou accompagnant les managers et dirigeants, je me suis rendue compte que cette violence est bien souvent tournée d’abord vers soi ; qui n’entend jamais sa petite voix intérieure l’accabler de reproches et exiger toujours plus ? Quel manager accepte avec bienveillance et humilité ses difficultés, sa tristesse, ou même la compassion qu’il peut ressentir vis-à-vis de lui-même ? Ils sont bien rares ceux (et celles !) qui ne se demandent pas de se montrer « forts » en toute circonstance, et ne se coupent pas alors de ce qu’ils ressentent.

Le rapport bienveillant à soi est souvent mal interprété dans nos sociétés ; l’amour de soi est chose peu répandue dans nos contrées … et pourtant, comment être en amitié avec les autres si l’on ne commence pas par soi ? comment être à même de ressentir les émotions des autres et agir de façon appropriée avec eux si l’on ne sait pas accueillir inconditionnellement et sans jugement ses propres émotions ?

Qui peut dire qu’il est bienveillant avec autrui, s’il est incapable de l’être avec lui-même ? car trop souvent, nous craignons d’être en amitié avec nous même de peur d’amoindrir notre performance et de ne plus rien exiger de nous-mêmes. Nous « passons en force » …Et nous adoptons la même attitude avec notre entourage au travail. Or être bienveillant permet de devenir manager ressource, pour soi, et pour les autres. Et cela n’empêche nullement de préserver son rôle manager porteur de la vision, et donneur d’ordres quand il le faut.

Accompagner, coacher un(e) manager et l’aider à faire croître sa puissance de leader, c’est bien souvent d’abord lui permettre de devenir ami avec lui-même, et de développer son empathie interne. Accompagner un(e) manager, c’est l’amener à faire face à ses émotions sans en avoir peur, à les accueillir, les écouter, les comprendre. Alors, il/elle peut sans crainte manager en relation, en empathie et en intelligence émotionnelle.